Vous étiez prisonnier au camp de concentration d’Auschwitz pendant cinq ans. Vous avez connu personnellement St. Maximilien Maria Kolbe là-bas. Quelle fut l’importance pour vous et les autres prisonniers de la présence de ce moine parmi vous ?
Tous les prisonniers envoyés à Auschwitz
étaient accueillis par les mêmes mots : « vous n’êtes pas à un
sanatorium mais à un camp de concentration allemand duquel il n’y a
aucune autre sortie que par la cheminée. Les Juifs peuvent vivre
pendant deux semaines, les prêtres survivent un mois et le reste vit
trois mois. Ceux à qui ça ne plait pas peuvent tout de suite aller au
grillage ». Cela voulait dire qu’ils pouvaient être tués car ils
faisaient passer un courant à haute-tension sans arrêt dans les
grillages qui entouraient le camp. Ces mots dès le départ enlevaient aux
prisonniers tout espoir. J’ai reçu une grâce incroyable à Auschwitz,
car je séjournais dans un bloc avec le Père Maximilien et je me tenais
avec lui en rang au moment de la sélection pour la mort. Je fus témoin
oculaire de son sacrifice héroïque qui m'a redonné l’espoir et aussi
aux autres prisonniers.
- Quelles furent les circonstances
de cet événement, du plus haut intérêt, qui pousse les gens à poser la
question : pourquoi a-t-il fait cela, et au nom de quelles valeurs ?
Il y a 63 ans, le mardi 29 juillet 1941, à
environ 1h de l’après-midi, juste après l’appel de la mi-journée, les
sirènes se mirent à hurler. Plus de 100 décibels traversèrent le camp.
Les prisonniers accomplissaient leurs tâches à la sueur de leur front.
Les hurlements de sirène signifiaient une alerte, et l’alerte voulait
dire qu’un prisonnier manquait à l’appel. Les SS firent immédiatement
cesser le travail et commencèrent à escorter les prisonniers du camp
vers l’appel pour vérifier le nombre de prisonniers. Pour nous qui
travaillions sur la construction d’une usine à caoutchouc aux
alentours, cela voulait dire une marche de sept kilomètres vers le
camp. On nous poussa à aller plus vite.
L’appel mit en évidence une chose
tragique : il manquait un prisonnier à l’appel, dans notre Bloc 14a.
Quand je dis « dans notre bloc », je veux dire celui du Père
Maximilien, Franciszek Gajowniczek, d’autres et le mien. C’était un
message terrifiant. Tous les autres prisonniers furent relâchés et
furent autorisés à se rendre à leurs blocs. On nous annonça la
punition : rester au garde-à-vous sans couvre-chef, jour et nuit, sans
manger. La nuit, il faisait très froid. Quand les SS avait une relève
de la garde, nous nous regroupions telles des abeilles, ceux qui se
tenaient au-dehors réchauffaient ceux qui se trouvaient au milieu et
alors nous changions de position.
De nombreuses personnes âgées ne purent
résister à la corvée de rester debout nuit et jour dans le froid. Nous
espérions au moins qu’un petit peu de soleil nous réchaufferait. Le
matin, l’officier allemand nous cria : « parce qu’un prisonnier s’est
échappé et que vous ne l’en avez pas empêché ou arrêté, dix d’entre
vous vont mourir de faim afin que les autres se souviennent que même
les plus petites tentatives d'évasion ne seront pas tolérées. » La
sélection débuta.
- Que se passe-t-il chez un homme
quand il sait que c’est peut-être le dernier moment de sa vie? Quels
sentiments accompagnaient les prisonniers qui purent entendre la
sentence qui les condamnait à la mort?
Je préférerais m’épargner le souvenir des
détails de ce moment terrible. Je dirai en gros à quoi ressemblait
cette sélection. Le groupe entier se rendit au départ de la première
ligne. Au-devant, deux pas devant nous, un capitaine allemand se tenait
debout. Il vous regardait dans les yeux tel un vautour. Il mesurait
chacun d’entre nous et ensuite levait sa main et disait, « Du! », ce
qui veut dire « Toi ». Ce “Du!” voulait dire la mort par la faim, et il
continuait ainsi. Les SS sortaient alors des rangs le pauvre
prisonnier, notaient son numéro et le mettaient à part sous
surveillance.
“Du!” semblait comme un marteau battant
une commode vide. Tout le monde avait peur à chaque fois que le doigt
bougeait. La colonne sous surveillance bougea de quelques pas en avant,
afin que l’espace entre les rangs pût être inspecté et avec le rang
suivant se formèrent des couloirs d'une largeur de trois ou quatre
mètres. Le SS marchait dans ce couloir et disait encore: “Du! Du”. Nos
cœurs faisaient un bruit sourd. Avec ce bruit dans nos têtes, le sang
montait à nos tempes et c’était comme si ce sang allait jaillir de nos
nez, de nos oreilles et de nos yeux. C’était dramatique.
- Comment se comporta St. Maximilien pendant cette sélection?
Le Père Maximilien et moi-même étions dans
la septième rangée. Il se tenait à ma gauche, deux ou trois amis
peut-être nous séparaient de lui. Quand les rangées devant nous
diminuèrent, une peur de plus en plus grande nous saisit. Je dois dire :
peu importe la détermination ou la frayeur d'un homme ; aucune
philosophie ne lui est alors utile. Heureux celui qui croit, qui est
capable de se reposer sur quelqu’un, de demander à quelqu’un la
miséricorde. J’ai prié la Mère de Dieu. Je dois l’avouer avec
honnêteté : je n’avais alors jamais prié ni avant ni après avec tant de
zèle.
Bien qu’on pouvait entendre encore
« Du ! », la prière en moi me changea suffisamment pour que je me
calme. Les gens ayant la foi n’étaient pas aussi effrayés. Ils étaient
prêts à accepter en paix leur destin, presque en héros. C’était
formidable. Les SS passèrent à côté de moi, me balayant des yeux et
puis passèrent à côté du Père Maximilien. Franciszek Gajowniczek leur
plut ; il se tenait à la fin de la rangée, et était un sergent de 41
ans de l’armée polonaise. Quand l’allemand dit « Du ! » et le montra du doigt, le pauvre homme s’exclama : « Jésus ! Marie ! Ma femme, mes enfants ! » Bien
sûr, les SS ne prêtaient pas attention aux paroles des prisonniers et
écrivaient juste leur numéro. Gajowniczek jura plus tard que s’il avait
péri dans le bunker de la faim, il n’aurait pas su qu’une telle
plainte, une telle supplique était venue de sa bouche.
- La sélection terminée, est-ce que les prisonniers restants ressentaient du soulagement que la grande peur soit finie ?
La sélection prit fin, dix prisonniers ayant été choisis. C’était leur ultime appel. Quant à nous, nous pensions que ce cauchemar debout allait prendre fin : nous avions mal à la tête, nous voulions manger, nos jambes étaient enflées. Soudain, une agitation débuta dans ma rangée. Nous nous tenions à intervalle de la longueur de nos sabots quand tout à coup quelqu’un commença à avancer entre les prisonniers. C’était le Père Maximilien.
La sélection prit fin, dix prisonniers ayant été choisis. C’était leur ultime appel. Quant à nous, nous pensions que ce cauchemar debout allait prendre fin : nous avions mal à la tête, nous voulions manger, nos jambes étaient enflées. Soudain, une agitation débuta dans ma rangée. Nous nous tenions à intervalle de la longueur de nos sabots quand tout à coup quelqu’un commença à avancer entre les prisonniers. C’était le Père Maximilien.
Il avançait à petits pas, car personne ne
pouvait faire de grands pas avec des sabots, car il fallait retrousser
ses orteils pour empêcher les sabots de tomber. Il se dirigeait tout
droit vers le groupe de SS, qui se tenait près de la première rangée de
prisonniers. Tout le monde tremblait, car il s’agissait de la
transgression d’une des règles les plus importantes, ce qui voulait dire
un châtiment brutal à la clé. La sortie de la rangée voulait dire la
mort. Les nouveaux prisonniers qui arrivaient dans le camp, ne sachant
rien de cette interdiction étaient battus jusqu’à ce qu’ils ne puissent
plus travailler. Cela équivalait à aller au bunker de la faim.
Nous étions certains qu’ils tueraient le
Père Maximilien avant qu’il parvienne jusqu’au bout. Mais quelque chose
d’extraordinaire se produisit qui ne fut jamais observé dans
l’histoire des sept cents camps de concentration du Troisième Reich. Il
n’est jamais arrivé qu’un prisonnier de camp puisse quitter la rangée
sans être puni. C’était quelque chose de si inimaginable pour les SS
qu’ils restèrent interloqués. Ils se regardèrent les uns les autres sans
savoir ce qu'il se passait.
- Que se passa-t-il ensuite ?
Le Père Maximilien marchait dans ses sabots
et son uniforme rayé de prisonnier avec son bol sur le côté. Il ne
marchait pas comme un mendiant, ni comme un héros. Il marchait comme un
homme conscient de sa grande mission. Il se tenait calmement face aux
officiers. Le commandant du camp retrouva finalement ses esprits.
Furieux, il demande à son adjoint « Was will dieses Polnische Schwein?” ("Que veut ce porc de Polonais?").
Ils commencèrent à chercher le traducteur, mais il se trouva que le
traducteur n’était pas nécessaire. Le Père Maximilien répondit
calmement : « Ich will sterben für ihn » ("Je veux mourir a sa place"), montrant de sa main Gajowniczek qui se tenait à côté.
Les Allemands restèrent abasourdis, la
bouche ouverte d’étonnement. Pour eux, les représentants de l'impiété
du monde, il était incompréhensible que quelqu’un souhaite mourir pour
un autre homme. Ils regardèrent le Père Maximilien d'un regard
interrogateur : est-ce qu’il est devenu fou ? Peut-être n’avons-nous
pas compris ce qu’il a dit ?
Finalement, la deuxième question arriva : « Wer bist du? » ("Qui es-tu ?"). Le Père Maximilien répondit : « Ich bin ein Polnischer Katolischer Priester » ("Je suis un prêtre catholique polonais").
Ici, le prisonnier confessa qu’il était polonais, donc qu'il venait de
la nation qu’ils détestaient. De plus, il admettait qu’il était un
homme du clergé. Pour les SS, le prêtre était une douleur de la
conscience. Il est intéressant de noter que, dans ce dialogue, le Père
Maximilien n’utilisa pas une seule fois le mot « s’il vous plait ». En
parlant comme il l'avait fait, il avait brisé le pouvoir que les
allemands avaient usurpé de droit de vie ou de mort et il les forçait à
parler autrement. Il se comportait comme un diplomate expérimenté.
Seulement, au lieu d’une queue de pie, d’une écharpe ou de décorations,
il se présentait lui-même dans un costume de prison rayé, un bol et
des sabots. Le silence mortifère régnait et chaque seconde semblait
durer des siècles.
Finalement, quelque chose arriva, que ni
les Allemands ni les prisonniers n’ont compris jusqu'à ce jour. Le
capitaine SS se tourna vers le Père Maximilien et s’adressa à lui avec
le « Sie » ("vous") de politesse et lui demanda : « Warum wollen Sie für ihn sterben ? » ("Pourquoi voulez-vous mourir à sa place ?")
Toutes les normes établies des SS
s’effondraient. Un moment auparavant, il l’avait appelé le « porc de
Polonais » et maintenant il se tournait vers lui et le vouvoyait. Les
SS et les officiers ordinaires qui se tenaient près de lui n’étaient
pas sûrs d’avoir bien entendu. Une seule fois, dans l’histoire des
camps de concentration, un officier de haut-rang, auteur de meurtres de
milliers de personnes, s’est ainsi adressé à un prisonnier de cette
manière.
Le Père Maximilien répondit : « Er hat eine Frau und Kinder » ("Il a une femme et des enfants"). Ce
qui est le résumé de tout le catéchisme. Il montrait à tous ce que la
paternité et la famille voulaient dire. Il avait deux doctorats
soutenus à Rome « summa cum laude » (la meilleure note possible), et
était éditeur, missionnaire, enseignant académique de deux universités à
Cracovie et Nagasaki. Il pensait que sa vie valait moins que la vie
d’un père de famille ! Quelle formidable leçon de catéchisme !
- Comment l’officier réagit-il aux paroles du Père Maximilien ?
Tout le monde attendait de voir ce qui
allait se passer ensuite. Le SS se savait le maître de la vie et de la
mort. Il pouvait donner l’ordre de le battre très violemment pour avoir
enfreint la règle strictement observée concernant le fait de sortir du
rang. Et plus important encore, comment est-ce qu’un prisonnier osait
prêcher la morale ?! L'officier pouvait faire condamner les deux à la
mort par la faim. Après quelques secondes, le SS dit : « Gut » ("Bon").
Il était d’accord avec le Père Maximilien et admettait qu’il avait
raison. Cela voulait dire que le bien avait gagné contre le mal, le mal
absolu.
Il n’y a pas de plus grand mal que, par
haine, de condamner un homme à périr de faim. Mais il n’y a pas non
plus de plus grand bien que de donner sa propre vie pour un autre
homme. Le bien absolu gagne. Je voudrais insister sur les réponses du
Père Maximilien : on le questionne à trois reprises et par trois fois
il répond avec concision et brièveté, usant de quatre mots. Le chiffre
quatre dans la Bible signifie symboliquement l’homme tout entier.
- Quelle importance pour vous et les autres prisonniers restants d’avoir été témoins de tout ceci ?
Les Allemands laissèrent Gajowniczek
retourner dans le rang et le Père Maximilien prendre sa place. Les
condamnés devaient retirer leurs sabots parce qu’ils ne leur étaient
plus d’aucune utilité. La porte du bunker de la faim était ouverte
seulement pour en sortir les cadavres. Le Père Maximilien entra en
dernier avec son binôme et il l’aida même à marcher. C’était comme ses
propres obsèques avant sa mort. Devant le bloc, on leur dit de retirer
leurs uniformes rayés et on jeta les prisonniers dans une cellule de
huit mètres carrés. La lumière du jour filtrait à travers les trois
barreaux de la fenêtre sur le sol froid, dur et humide et les murs
noirs.
Un autre miracle arriva là-bas. Le Père
Maximilien, bien qu’il respirait à l’aide d’un seul poumon, survécut
aux autres prisonniers. Il demeura vivant dans la chambre de la mort
pendant 386 heures. Tous les médecins reconnaîtront que c’est
incroyable. Après cette agonie horrible, le bourreau dans un uniforme
médical lui donna une injection mortelle. Mais il ne succomba pas non
plus… Il durent le finir avec une deuxième injection. Il mourut la
veille de l’Assomption de la Sainte Vierge Marie, Son
Commandant-en-Chef. Il voulait travailler et mourir pour Marie
l’Immaculée toute sa vie. Ce fut sa plus grande joie.
- En référence à la première
question, pouvez-vous s’il vous plaît développer : qu’est-ce que cette
attitude extraordinaire du Père Maximilien (être délivré de la mort par
la faim) signifia pour vous ?
Le sacrifice du Père Maximilien inspira de
nombreux travaux. Il renforça l’activité du groupe de résistance du
camp, l’organisation souterraine des prisonniers et cela divisa le
temps entre « l’avant » et « l’après » du sacrifice du Père Maximilien.
De nombreux prisonniers ont survécu à leur passage au camp, grâce à
l’existence et aux opérations de cette organisation. Quelques-uns
d’entre nous reçurent de l'aide, deux sur cent. J’ai reçu cette grâce,
vu que je suis l’un de ces deux. Franciszek Gajowniczek fut non
seulement secouru mais vécut encore 54 ans.
Notre saint compagnon-prisonnier secourut,
par-dessus tout, l’humanité en nous. Il était un guide spirituel dans
le bunker de la faim, donna du soutien, dirigea les prières, pardonna
les péchés et mena les mourants vers l’autre monde avec le signe de la
Croix. Il renforça la foi et l’espoir en nous qui avons survécu à la
sélection. Au milieu de cette destruction, cette terreur et le mal, il
redonna l’espoir.source :
http://laportelatine.org/international/activiteint/confrer/militia_immaculatae/militia_immaculatae_lettre_02_160726.php
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Que le Sacré Cœur de Jésus vous brûle de son amour et que vous demeuriez dans sa grâce pour l'éternité, amen !